Il y a quelques mois, un dirigeant m’a confié, lors d’une séance de coaching : « Je sais que je dois lâcher prise. Mes équipes ont besoin d’autonomie, le monde change trop vite pour que je valide tout. Mais cette culture du contrôle, c’est ce qui m’a permis d’arriver là où je suis. Comment renoncer à ce qui m’a construit? »
Cette question, je l’entends souvent, sous différentes formes : le gestionnaire expert qui doit cesser d’avoir raison sur tout; la leader charismatique qui doit sortir du centre de l’attention, ou encore l’organisation qui doit abandonner des processus devenus des rituels vides.
Nous parlons beaucoup de transformation, d’apprentissage continu, d’adaptation, mais nous parlons rarement de ce qu’il faut lâcher pour que le nouveau puisse advenir. Nous cherchons à changer sans renoncer, comme si l’on pouvait apprendre indéfiniment en ajoutant, sans jamais retirer. Un disque dur plein ralentit, et un système vivant qui ne se régénère pas finit par s’épuiser.
La véritable évolution ne vient pas de ce que l’on ajoute, mais de ce que l’on accepte de ne plus faire.
Ce dirigeant a raison : sa culture du contrôle l’a légitimé. Son attention méticuleuse aux détails a permis d’éviter des erreurs coûteuses. Sa capacité à tout anticiper a rassuré les investisseurs dans les moments difficiles. Mais aujourd’hui, l’environnement a changé. La vitesse requise est incompatible avec un processus de validation centralisé. Les talents qu’il recrute aspirent à l’autonomie. Les occasions d’affaires apparaissent et disparaissent plus vite qu’il ne peut les évaluer. Le même comportement qui a construit son succès devient désormais un goulot d’étranglement.
On ne renonce pas à ce qui n’a pas marché; on renonce à ce qui a fonctionné. Renoncer, c’est accepter une petite mort symbolique : celle d’une version de soi qui nous a permis de réussir, mais qui devient trop étroite pour la suite. Le paradoxe est le même pour les systèmes.
Prenons une entreprise industrielle ayant bâti son succès sur des processus ultradétaillés. Face aux disruptions actuelles, ces mêmes processus sont devenus un carcan. Un projet nécessitant douze signatures ne peut saisir une occasion d’affaires qui disparaît en trois semaines.
Pour rester vivant, un système doit accepter de laisser mourir une partie de lui-même. Sans renoncement individuel, le système ne peut pas évoluer, et sans renoncement systémique, les individus s’épuisent à changer seuls, à contre-courant.
Tous les comportements qui ont fonctionné ne sont pas à abandonner. Trois critères peuvent guider la réflexion.
Le renoncement ne se décrète pas, il s’accompagne dans le temps. Voici trois astuces pour y arriver en toute sérénité.
Six mois après notre première conversation, ce dirigeant m’a raconté qu’il avait commencé à lâcher prise progressivement, un projet à la fois.
« Au début, c’était inconfortable. J’avais l’impression de ne plus être utile, puis j’ai vu mes équipes grandir et prendre des initiatives que je n’aurais jamais imaginées. J’ai compris que mon nouveau rôle n’était pas de tout contrôler, mais de créer les conditions pour que les autres puissent briller. »
Il a ajouté : « Je ne serai jamais complètement zen avec le lâcher-prise. Mais j’ai compris que c’était le prix à payer pour que l’organisation aille plus loin. »
Aller plus loin n’est pas toujours une question d’effort ou d’ambition, mais plutôt de maturité, laquelle se mesure par rapport à la capacité de l’individu à ne pas se laisser enfermer par ce qui l’a rendu fort. La maturité d’un système se mesure également à sa capacité à ne pas sacraliser ce qui l’a fait réussir.
Il n’y a pas d’apprentissage sans désapprentissage ni de transformation sans renoncement. Peut-être que le rôle du leadership aujourd’hui n’est pas seulement d’ouvrir des possibilités, mais aussi de discerner ce à quoi il est temps de renoncer et d’autoriser collectivement ces renoncements difficiles, mais nécessaires, afin que quelque chose de plus vivant et de plus robuste puisse émerger.
Renoncer n’est pas reculer. C’est faire de la place pour une croissance d’un autre ordre. Et vous, à quoi devriez-vous renoncer pour grandir?
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