L’intelligence artificielle générative, comme l’agent conversationnel ChatGPT, transforme radicalement notre façon d’accéder à l’information et de produire du contenu. Pour une personne en début de carrière dans le secteur tertiaire, ce nouvel outil représente un atout considérable : il permet de gagner en rapidité, en efficacité et en qualité.
Cependant, cette avancée technologique contient un paradoxe. D’un côté, ignorer l’IA, c’est prendre le risque de se laisser distancer dans un monde professionnel où la vitesse et la productivité sont reines. De l’autre, trop s’y fier peut nuire au développement des compétences : plus on délègue à l’IA, moins on mobilise ses propres ressources cognitives. Et plus l’outil apprend.
Comme le rappelle la psychologue Carol Dweck, « Becoming is better than being ». Ce qui importe, ce n’est pas d’avoir immédiatement la bonne réponse, mais bien de progresser, de se transformer.
Ce dilemme soulève une question cruciale : comment les nouvelles générations pourront-elles développer leur plein potentiel si la facilité offerte par l’IA réduit l’effort nécessaire à un apprentissage en profondeur?
Ce débat ne date pas d’hier, et l’histoire nous offre de précieux éclairages.
Lorsque la calculatrice a été introduite en milieu scolaire, les enseignants et enseignantes s’inquiétaient : « Si les jeunes utilisent la calculatrice, ils et elles ne sauront plus calculer de façon autonome. » C’est un fait, mais la calculette a aussi libéré les élèves des opérations mécaniques, leur permettant de se concentrer sur la compréhension des concepts mathématiques.
De même, le logiciel Excel s’est imposé comme un prolongement naturel du raisonnement comptable et financier, sans contestation majeure.
La différence avec l’IA générative est toutefois nette :
Cela soulève une question fondamentale : ne sommes-nous pas en train de devenir dépendants et dépendantes d’une pensée extérieure à nous-mêmes?
En début de carrière, j’ai passé trois ans à lire et à assimiler une base de données complexe dans le cabinet de conseil RH. Aujourd’hui, une synthèse de ces données qui, auparavant, m’aurait demandé des mois de travail, est accessible en quelques secondes avec ChatGPT. Si je devais recommencer la même tâche avec les moyens limités de l’époque, je suis sceptique quant à ma capacité à m’y remettre. Avec l’accès à des outils aussi pratiques, il est difficile de s’imaginer devoir à nouveau s’engager dans une telle tâche. C’est là que réside le danger.
Cette réalité nous incite à repenser notre manière d’apprendre.
Il faut changer de perspective.
Nous passons d’une économie de la connaissance – fondée sur l’accumulation d’informations – à une économie du discernement et de la sagesse. La véritable compétence ne se mesure plus par la quantité d’informations connues (car tout est accessible en quelques clics), mais par la capacité à discerner, à interpréter, à critiquer et à décider dans un océan d’informations.
Auparavant, une personne débutant dans la consultation passait des semaines à analyser des tests de performance (benchmarks) sectoriels, développant ainsi une compréhension fine des enjeux métier.
Désormais, cette analyse peut être effectuée en quelques minutes par une machine. La vraie valeur ajoutée de l’être humain réside donc dans sa capacité à :
Cette évolution suppose de maintenir une posture active d’apprentissage :
L’intelligence artificielle est à la fois une opportunité et un défi pour notre façon d’apprendre, de comprendre et de décider. Elle nous pousse à faire un choix : la facilité, qui endort, ou l’exigence, qui élève.
Le risque est réel : si nous nous contentons de consommer des réponses prêtes à l’emploi, l’IA peut devenir un outil d’appauvrissement cognitif. Mais utilisée à bon escient, elle peut au contraire accélérer notre développement professionnel et personnel.
Dans sa théorie sur le développement de l’ego, la chercheuse Susanne Cook-Greuter parle des niveaux de conscience. Au fil du temps, on peut passer de l’exécution à la réflexion, de la conformité à l’autonomie, de l’efficacité à la sagesse.
Aujourd’hui, l’enjeu n’est plus seulement de savoir ou de faire, mais d’élargir notre façon d’être au monde. ChatGPT ne pourra jamais remplacer cette évolution, mais, si on l’utilise judicieusement, il peut nous aider à l’accélérer.
La question qu’on doit se poser n’est donc pas : « Faut-il s’en servir? ». Elle est plutôt : « Comment s’en servir pour devenir plus conscients et conscientes, plus lucides, plus responsables? ». Nous passons d’une économie de la connaissance à une économie du discernement. Et ce discernement… il ne se prompte pas.
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