Dans les médias et dans le milieu des affaires, on parle souvent d’économie, de productivité, de transformation numérique, de conditions de travail et de santé psychologique. Ces enjeux, traditionnellement associés aux organisations et aux équipes de ressources humaines, occupent une place centrale dans les débats publics, car les transformations du monde du travail ont un impact direct sur la qualité des services, la performance collective et nos politiques sociales.
Les RH ne sont donc plus en périphérie des conversations politiques : elles deviennent un levier structurant pour comprendre et orienter les décisions publiques.
1. Au fédéral : productivité, compétences et avenir du travail
À l’échelle canadienne, la question de la productivité est devenue incontournable.
Le diagnostic économique récemment présenté par Mark Carney rappelle que notre progression est plus lente que celle d’autres pays comparables. Cette situation interpelle autant les économistes que les spécialistes RH parce qu’elle touche directement :
- le développement des compétences;
- la capacité de requalifier la main-d’œuvre;
- le soutien à l’innovation et à l’investissement technologique;
- la préparation aux métiers émergents.
La compétitivité d’un pays repose désormais autant sur ses politiques économiques que sur sa capacité à former, accueillir et accompagner les talents.
2. Au provincial : modernisation et relations de travail
Au Québec, les chantiers institutionnels liés au projet de loi no 2¹ et au projet de réforme du régime de travail montrent clairement que les conditions de travail, la mobilité professionnelle et l’organisation des métiers publics représentent des enjeux de société.
Ces réformes cherchent à moderniser des secteurs essentiels tout en soulevant des questions importantes :
- Comment attirer et retenir les équipes?
- Comment soutenir la requalification dans des environnements complexes?
- Comment concilier évolution technologique, qualité des services et réalité humaine?
- Comment accompagner le changement dans des organisations vastes et très visibles?
Ces réflexions dépassent largement les murs des organisations. Elles touchent la manière dont les Québécois et les Québécoises perçoivent leurs institutions et leur rapport au travail.
3. Au municipal : un terrain où les enjeux humains se manifestent directement
Au niveau municipal, les transformations du marché du travail se reflètent au quotidien. Les équipes de transport, d’ingénierie, d’entretien, de sécurité ou de services sociaux vivent une évolution rapide des métiers et des compétences nécessaires.
À Montréal, par exemple, plusieurs événements récents ont mis en lumière la complexité croissante de l’organisation du travail, notamment dans les services de transport et les équipes techniques. Ces réalités illustrent que, même au niveau municipal, la gestion des RH joue un rôle déterminant dans la continuité et la qualité des services aux citoyens.
4. Le paradoxe technologique et de l’IA : plus elle progresse, plus la valeur humaine évolue
L’essor de l’intelligence artificielle transforme en profondeur la nature du travail. Elle automatise certaines tâches, mais augmente simultanément la complexité de nombreuses fonctions. Cette évolution exige :
- l’adaptation continue des compétences;
- des stratégies de requalification accessibles;
- un accompagnement au changement mieux structuré;
- une réflexion constante sur l’évolution des métiers.
Ce paradoxe est particulièrement apparent chez les jeunes.
Selon Statistique Canada² :
- en mai 2025, le taux de chômage des 15–24 ans se situait à 14,2 %;
- en septembre 2025, ce taux atteignait 14,7 %, et 17,1 % chez les étudiants à temps plein.
Ces données révèlent un décalage entre les compétences enseignées, les compétences recherchées et les compétences réellement utilisées sur le marché du travail. Elles rappellent aussi l’importance d’un accès élargi à la formation, au mentorat, aux stages de qualité et aux parcours de développement.
Une convergence inédite : politique publique + RH
Aujourd’hui, qu’il soit question d’infrastructures, de mobilité, de santé, d’éducation, d’économie ou de services municipaux, les décisions publiques reposent sur :
- la compréhension de l’évolution des métiers;
- la capacité d’anticiper les besoins en compétences;
- les stratégies de requalification;
- les dynamiques de travail d’équipes multidisciplinaires;
- la gouvernance du changement;
- la santé organisationnelle;
- l’intégration progressive des technologies.
À cela s’ajoute un autre élément souvent peu discuté : le financement des organismes à but non lucratif.
Lorsque les budgets de mission sont réduits, les effets en RH sont immédiats et significatifs :
- réduction de personnel;
- surcharge de travail;
- insécurité professionnelle;
- mises à pied;
- apparition ou intensification de conflits internes.
Ces réalités, très présentes dans le milieu communautaire, rappellent à quel point les enjeux en RH dépassent les seules organisations et font partie intégrante des choix collectifs.
Les frontières entre les enjeux organisationnels et les enjeux publics se recomposent.
Les ressources humaines ne s’invitent pas en politique : elles deviennent un langage commun, nécessaire pour comprendre la transformation actuelle.
5. Un message porteur
Le 7 novembre dernier lors du gala soulignant les 80 ans de l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, j’ai partagé une idée qui fait de plus en plus consensus dans notre milieu :
Les grands débats publics d’aujourd’hui nécessitent une compréhension fine du travail, des équipes et des dynamiques humaines. Les spécialistes RH doivent donc intervenir dans toutes les instances où il y a de la gouvernance, qu’il s’agisse d’équipes d’élus ou d’organismes publics, parapublics, institutionnels ou communautaires, afin de s’assurer que les enjeux décrits plus haut soient traités avec toute l’expertise humaine, organisationnelle et stratégique qu’ils requièrent.
Conclusion : faciliter ensemble la transition du travail
Nous vivons un moment où les dimensions humaines, technologiques et organisationnelles se transforment simultanément. Pour s’y adapter, une collaboration étroite est nécessaire entre :
- les décideurs publics;
- les spécialistes RH;
- les milieux académiques;
- les organisations;
- les partenaires sociaux.
Les RH ont un rôle essentiel à jouer dans cette transition, un rôle qui gagne en importance politique à mesure que la transformation du monde du travail s’accélère.
