Développement organisationnel et expérience employé
La culture d’entreprise ressemble à l’air qu’on respire: on ne la remarque que lorsqu’elle manque, ou lorsqu’on change d’atmosphère.
Le terme est devenu si courant qu’on le prononce parfois sans plus y penser. Pourtant, derrière ce mot se cache l’un des leviers les plus puissants de la transformation.
La culture d’entreprise, c’est l’ensemble des croyances, des valeurs et des comportements partagés qui façonnent la manière dont une organisation agit et réagit face à un enjeu. Pour reprendre le modèle de Robert Dilts et ses niveaux logiques du changement, la culture s’inscrit au niveau de l’identité: ce que l’entreprise croit être, plus profondément que ses simples comportements ou compétences. C’est ce qu’elle valorise, ce qu’elle choisit d’incarner.
C’est aussi une mémoire collective, nourrie de figures historiques, d’expériences communes, de récits internes qui deviennent des repères. On parle souvent de culture du consensus, de l’écrit, de la performance, de l’innovation, etc. En réalité, chaque entreprise possède son propre vocabulaire, son lexique comportemental.
Comme tout langage, on ne le voit vraiment qu’en rencontrant un autre dialecte.
C’est souvent lors d’une fusion que la question culturelle devient tangible.
Dans la première entreprise, on commence la réunion avec le déroulé de 40 pages de PowerPoint. Dans la seconde entreprise, c’est un tour de table debout en 5 minutes sur les priorités de la semaine.
Deux entreprises, deux identités, deux manières d’aborder le monde. D’un côté, une organisation structurée, hiérarchique, régie par des processus, où chaque projet s’accompagne d’un business case et d’une évaluation des risques. De l’autre, une culture start-up: test & learn, peu de processus, forte collaboration, oralité et rapidité de décision.
Sur papier, les synergies peuvent sembler évidentes. Dans la réalité, selon une étude de Harvard Business Review, plus de deux tiers des fusions-acquisitions n’atteignent pas leurs objectifs, souvent pour des raisons… culturelles. Les due diligences sont souvent exhaustives sur les aspects financiers ou juridiques, mais ignorent la dimension culturelle (processus de décision, rapport au succès ou à l’échec, etc.). Quand ces cultures s’entrechoquent, les meilleures stratégies se brisent sur des réflexes invisibles.
Peter Drucker l’avait résumé en une formule célèbre: «Culture eats strategy for breakfast». Non pas que la stratégie soit inutile, elle est même essentielle, mais si elle n’est pas incarnée dans la culture, elle reste lettre morte. Une stratégie brillante portée par une culture qui ne la reconnaît pas s’évapore comme la rosée du matin.
On ne change pas une culture par décret. Lorsqu’une dirigeante ou un dirigeant cherche à imposer «une nouvelle culture» sans dialogue ni implication, l’organisation agit comme un système immunitaire: elle rejette l’implant. Plus on tire fort, plus l’élastique renvoie en arrière.
La culture peut devenir un formidable levier de transformation, à condition de s’appuyer sur ce qu’elle a de meilleur.
Lorsqu’un changement résonne avec les croyances partagées, il s’accélère. Lorsqu’il les contredit, il se heurte à une résistance sourde. S’appuyer sur la culture, c’est donc partir de ce qui relie: les valeurs communes, le sentiment d’appartenance, le sens collectif. Un changement accepté n’est pas celui qui s’impose, mais celui qui fait écho à l’identité du groupe.
À l’inverse, un changement mené contre la culture devient une lutte de pouvoir. La question n’est pas «faut-il changer la culture?», mais «comment faire évoluer nos comportements sans trahir qui nous sommes?»
On ne change pas les croyances ou les valeurs profondes d’une organisation du jour au lendemain. On peut, en revanche, faire évoluer les comportements. Et pour cela, une voie existe: la culture de l’apprentissage.
Créer une culture d’apprentissage, c’est doter l’organisation d’une capacité à se regarder elle-même. C’est lui permettre de comprendre ses forces et ses angles morts. C’est vérifier la cohérence entre perception et réalité. Par exemple, une entreprise qui se dit attachée à la promotion interne, mais recrute la moitié de ses gestionnaires à l’externe.
C’est aussi accepter la rétroaction, partager les difficultés, et instaurer une sécurité psychologique. Le projet Aristotle de Google - qui a identifié les conditions de performance des équipes - l’a démontré: la sécurité psychologique est la clé des équipes performantes.
L’apprentissage et la sécurité psychologique se renforcent mutuellement: on apprend mieux lorsqu’on peut se tromper sans crainte, et on crée de la confiance en apprenant ensemble.
Le véritable changement naît souvent d’un saut de conscience: le moment où l’organisation, arrivée au bout d’elle-même, comprend qu’elle doit évoluer pour continuer à exister. Ce saut n’est pas linéaire. Il commence par un travail intérieur et émerge quand les représentations dominantes (du pouvoir, du temps, du rapport à soi et aux autres) deviennent trop étroites pour répondre à la complexité du réel. Il est souvent déclenché par une crise: une perte de marché, un mouvement social interne, l’arrivée d’une nouvelle équipe de direction. Rarement confortable, il permet l’émergence d’un nouveau paradigme.
La culture d’entreprise est l’ossature invisible du changement. Elle relie, oriente, stabilise. Mais elle peut aussi figer.
La clé n’est pas de la «changer», mais de la rendre explicite, de la comprendre, de l’utiliser comme un allié. Les employés et employées d’aujourd’hui sont sensibles à l’écart entre les mots et les actes. Le «culture washing» ne résiste pas à l’épreuve du réel.
Changer sans se renier, c’est accepter que toute transformation durable commence par un travail de lucidité collective. La prochaine fois que vous lancerez un projet de transformation, posez-vous cette question:
Qu’est-ce qui, dans notre culture actuelle, peut porter ce changement? Et qu’est-ce qui risque de le bloquer?
Cette lucidité-là vaut tous les plans d’affaires. Car on ne change pas la culture d’une organisation, on apprend à changer avec elle.
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